Quand et comment es-tu venu à
la musique (parcours d'auditeur, puis de compositeur) ?
Je n'en ai plus la moindre idée. Ma
mémoire me fait défaut. En fait, je suis comme un
enfant de 3 ans avec une sensibilité accentuée sur
mon environnement sonore. Chansons et pas chansons se succèdent
sur mon cd player.
Ton album s'appelle "21056".
Quelle est la signification de ce titre plutôt sibyllin ?
C'est en référence à
l'anticipation et au Mujirushi Ryohin, les produits sans marques,
ultra minimalistes et fonctionnels. Je suis séduit par la
simplicité d'où ma fascination des chiffres. "21056"
est l'identification minéralogique du camion poubelle qui
passe dans ma rue. Mais peut-être pourrais trouver une autre
explication pour ce vert, ce blanc et ce numéro.
Peux-tu nous décrire son processus
de réalisation ? Comment sont venues les idées sonores
et mélodiques ? Quel type de matériel utilises-tu
; quelle est ton infrastructure technique ? Quelle part le sampling
prend-il dans ton processus sonore ?
Je concentre toute mon énergie afin
de dévoiler un univers, sur le tout, le global. Il y a une
forte préparation psychologique avant la phase de création.
J'ai besoin de me sentir prêt et de me laisser guider. Je
construis mes titres à partir d'éléments très
disparates, comme un bâtiment dont les formes géométriques
simples construisent un monument, avec une notion d'indétermination.
Ma musique n'est pas créée par des connaissances techniques,
elle provient de l'instinct, de l'intuition. J'adore les moments
où je ne comprends plus, le mystère est la partie
que je préfère. Je travaille avec des samplers, le
s-2000 et un MPC 2000, un magnéto à bandes, un expendeur
Proteus xr2, un vieux synthé SIEL, un 8 pistes numérique,
et bien sûr, un DAT qui représente quasiment mon unique
base sonore.
Ton album se caractérise par
son aspect multifacettes, et sa grande variété d'ambiances
sonores. Est-ce un effort volontaire, ou cela a-t il résulté
du hasard ? ..
"21056" est constitué de
cellules amovibles représentant les contradictions entre
mobilité et permanence. Mais j'y vois des corrélations.
C'est un monde explosé, mixant sans concessions. Je n'ai
pas un style que je décline, j'ai plutôt un esprit
d'exploration. Je vais au bout de mes désirs, les plus troublants,
les plus cruels. Ce qui compte c'est la recherche sans jamais vouloir
atteindre un but.
Veux-tu réaliser de prochains
opus aussi mixtes, ou tes travaux - actuels et futurs- tendent-ils
vers une plus grande "unité"?
Depuis la sortie de l'album j'ai bossé
pour le cinéma, 2 court-métrages : "La réserve"
de Pascale Breton, et "Aller simple" de Christian Bakalov,
mais aussi pour la danse. Martin Padron, un chorégraphe,
a utilisé des extraits de "21056" pour son ballet
"dentro", et souhaite que je compose la musique de son
nouveau ballet basé sur l'anticipation. Une musique avec
une destinée, sur un traitement de Bach. Le voyage est ma
voie de conditionnement, j'ai ce besoin de mouvement, qui est l'essence
même de mes inspirations. Je pense partir en Islande pour
y mûrir un nouveau projet, on y retrouvera certainement mes
tics même si j'essaie de me contrôler.
Ton nom, "Nori", signifie
"feuille d'algue séchée", la note biographique
prend un tour très aquatique. Pourtant l'ambiance, sur l'album,
est souvent, épaisse, oppressante, industrielle. Alors "rat
des villes ou rat des champs"?
Dans l'absolu je serais station orbitale.
J'ai une attirance inéluctable vers les grandes métropoles
et leur univers sonore très riche. Je suis un inconditionnel
D'Osaka, trouvant dans le rapport à la tradition et de la
modernité que suscite cette ville, une source d'inspiration
irremplaçable. Quitter le Japon a été une épreuve,
je n'ai pas pris la décision de partir, cela s'est fait de
façon inconsciente. Je me sens comme un immigré. Toutes
ces sensations ont imprégné mon album. Je suis obsédé
par l'oxygène, son rapport avec la respiration, remonter
à la surface. L'eau est le symbole du commencement, mais
aussi celui du voyage à travers la vie. N'hésitez
pas à pénétrer dans mon monde, et il deviendra
le votre.
Quelles sont tes principales influences
musicales?
Historiquement, l'importance du cinéma
est considérable. Impossible de ne pas mentionner Lucas,
Scott, Oshima. Ils ont éduque mes oreilles par leurs bandes-sons.
Les influences ne sont pas forcement calculées mais inconsciemment
digérées.
Te produis-tu en live? Comment conçois-tu
le live sous format électronique?
J'ai commencé à m'organiser
pour jouer live, mais cela reste synonyme d'événement.
J'ai envie d'y lier une imagerie, j'utilise aussi des dialogues
infiltrant la musique. La plupart des textes sont en japonais, un
échantillon de contexte.
La dernière partie du disque
comporte des tracks bien remuantes. La danse a-t'elle une importance
à tes yeux?
Parfois je fais preuve d'une étourdissante
vitalité. Je n'ai pas jamais cherché des sons pour
faire danser. je ne me suis jamais lever pour danser, j'ai peut-être
l'air vieux avec les mains croisées, mais j'ai plus de plaisir
à être confortablement assis.
"je crois qu'il est très important
de laisser travailler l'imagination du spectateur...Au Japon, la
tradition théâtrale du nô laisse la sensibilité
de spectateur faire une grande partie du travail du création
du spectacle vivant. Le public charge le danseur de nô de
tous ses fantasmes. Il faut revenir à cette forme d'expression
artistique où tout n'est pas précisé et prémaché."
- Takeshi Kitano
...Te situes-tu, artistiquement parlant,
dans une optique parallèle à celle-là? Préfères-tu
que ta musique soit prégnante, ou demeure plus ornementale?
Je n'ai aucune revendication, aucun concept
ne peut coller à mon travail, je n'en ai pas. C'est le symbolisme
abstrait, sans idéologie. le public est libre de toute analyse.
Y'a t-il un public, pour ta musique
- ou pour celle de Dumb Type, par exemple - au Japon, plus qu'en
France?
Je suis un peu Otaku dans l'esprit. difficile
de répondre. Je suis français et j'aime la musique
de Ryoji Ikeda. Il est japonais et j'espère qu'il aime ce
que je fais.
Si cela n'est pas trop personnel, ou
douloureux, peux-tu nous parler un peu de l'amnésie?
J'explore les fissures du passé et
tente de comprendre mes obsessions du présent. Réaliser
son rêve n'est pas revenir en arrière. Je fais une
censure de la mémoire. De toutes façons 50 pas équivalent
à 100 pas.
Le Japon actuel: Est-il aussi speed
et industrialisé qu'on se l'imagine? Est-il en voie d'occidentalisation
avancée, ou les "fameuses" traditions restent-elles
vivaces?
La culture traditionnelle n'est pas pour
autant niée. Elle est transfigurée au travers de symboles
high-tech. Il y a un aspect mutant des villes, et le Japon a replacé
de façon stratégique son art et sa conception dans
les jeux. J'ai une admiration pour ces gens qui me font penser à
des héros électroniques. Ils incarnent à mes
yeux la modernité.
Et ce morceau bizarro-rigolo, avec
les divagation féminine en allemand ; est-il une indication
quant à une future direction (vocale) que pourrais prendre
ton travail?
Cette voix est celle de Kaeru. Ça
s'est fait de façon spontanée. j'adore son innocence
et son engagement. C'est évident que l'on refera quelque
chose ensemble. J'aime traiter les voix. je le fais régulièrement.
Et peut-être bien y aura-t-il de plus en plus de notices,
de calculs, de contes gravés sur CD.
Quelques mots pour en finir?
Fais attention à ce que tu veux, tu
pourrais bien l'obtenir.
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